![]() |
![]() |
Une congrégation de Frères Antonins, dits « Ermites de Saint-Antoine », vint s'établir au Catsberg dans le courant du XVIIe siècle; ces religieux s'occupaient de l'éducation de la jeunesse: ils enseignaient le flamand, le français, l'arithmétique et les premiers éléments de la langue latine. Pour supérieur immédiat, ils reconnaissaient l'évêque d'Ypres. Le 9 juillet 1689, pendant la vacance du siège, les ermites du Catsberg obtinrent de l'autorité diocésaine l'autorisation de s'unir aux ermites de Kemmel (Belgique); voici l'apostille de leur requête: "De heeren consenteren dat de twee eremitagien een moghen wesen, ende dat de gonne van Kemmele sullen moghen gaen tot ten Catsberg, ende de goederen ghemeene houden, ende dit alles op't adveu vanden Bisschop toecommende". Martin de Ratabon, qui occupa le siège d'Ypres de 1693 à 1713, donna aux Frères ermites de nouvelles règles et de nouvelles constitutions.
Le premier couvent que les Antonins bâtirent à leur arrivée était sur le territoire de Berthen, au milieu des bois, derrière la chapelle de la Passion, dite "Koorts-Capelle". Ce terrain continue de porter le nom d' "Ermitage"; il appartient depuis plus d'un demi-siècle à la famille de Coussemaker-Baert de Neuville.
Cet établissement se développa tellement et prit dans la suite des temps une si grande importance que les Frères jugèrent indispensable d'appeler un ecclésiastique pour la direction de la maison et pour le service de leur chapelle. Le droit des Frères était incontestable; néanmoins leur projet rencontra dans la paroisse de Berthen une opposition qui ne se termina que par la retraite des Frères. L'autorisation de transférer leur ermitage dans un lieu voisin leur fut accordée par l'autorité diocésaine, le 23 juin 1688. Elle était conçue en ces termes: "Ad libellum Fratrum eremitarum in Berthene data apostilla tenoris sequentis. Viso advisamento Dni becani districtûs belliolen[sis],permittimus quatenùs nos attinet translationem eremitagij dicti Berthene, in alium lucum vicinum". En quittant Berthen, ils allèrent se fixer sur le territoire de Godewaersvelde, à l'extrémité occidentale du plateau de la montagne, et y bâtirent un nouveau couvent sur un fonds de treize quartiers de terre qu'une dame de Godewaersvelde leur céda.
La règle des Ermites était austère; elle leur prescrivait, entre autres pratiques, le jeûne du vendredi et le silence; le temps de la journée était partagé entre la prière, les travaux manuels et l'instruction de la jeunesse. Le noviciat durait un an; les Antonins faisaient voeu de pauvreté, de chasteté et d'obéissance; ces vœux étaient simples et ne duraient que le temps de leur séjour dans la communauté; chaque Frère avait sa cellule qui, par sa simplicité, rappelait la chambre du Prophète. Leurs vêtements étaient pauvres; ils portaient une robe de gros drap noir, avec un scapulaire de même couleur marqué d'un tau, T ou croix de Saint-Antoine, en caractères rouges. Une ceinture noire, à laquelle pendait un chapelet en buis, leur serrait les reins.
La charge de supérieur était conférée pour une période de trois années. Il était nommé par voie d'élection, et cette élection, présidée par un délégué de l'évêque, avait lieu à la pluralité des suffrages donnés par les Frères de la maison, mais elle ne devenait définitive que par l'approbation de l'évêque. Celui-ci, en sa qualité de supérieur immédiat, se réservait, en outre, d'accorder les permissions et les dispenses à la règle, suivant l'opportunité des circonstances. Un sous-supérieur ou vicaire remplaçait le supérieur en cas d'absence ou d'empêchement; son élection était soumise aux mêmes formalités que celle du supérieur, et il restait en fonction pendant la même période de temps.
La vétusté et l'insuffisance des bâtiments obligèrent les Frères Antonins à reconstruire leur ermitage, et comme c'était une affaire de grande importance et qui dépassait notablement leurs ressources, ils obtinrent, en 1723, l'autorisation de vendre une partie de leurs biens et d'avoir recours à la générosité du clergé et des fidèles du diocèse; ce qui ne les empêcha pas de se trouver longtemps dans la gène. Ce furent sans doute des motifs d'économie qui leur firent ajourner l'admission d'un ecclésiastique à demeure dans la maison pour la direction de la communauté. Le curé de la paroisse resta provisoirement chargé de ce soin.
"18 9bris 1724, data est sequens commissio pastori de Godsvelde. Joannes-Bapta, etc... aenden Eeruden heer (Franciscus Josephus Van) Costenoble (gebooren tot Belle) pastor van Godevaertsvelde saligheyt inden Heere. Alsoo het noodigh iste onderhouden ende vermeerderen vand'eere ende gloria Godts ende kerckelycke discipline dat de geestelycke vergaederinghen met besondere sorghvuldigheyt bestiert worden, 't gone eygentlyck toecomt aen hunne geestelycke herders, namentlyck in die plaetsen dewelke om hunne afgelegentheyt ofte andere reden door ons selve niet wel en connen besorght worden, soo ist dat wy door dese u de maght en authoriteyt geven, van, soo in 't geestelyck als 't tydelyck te bestieren, de vergaederinghe der broeders Antoninen woonaghtigh op den Katsbergh gelegen onder uwe prochie in sulckervoegen dat sy allegaeder, soo den Oversten als de Broeders die hem onderworpen syn, u sullen hebben le gehoorsaemen ende niets te ondernemen sonder uwe voorgaende permissie of consent, belastende wel expresselyck aen alle de voorseyde broeders geen uytgenomen dese onse intentie getrouwelyck inter volgen, ende hun aende selve in alles te conformeren.
Aldus gegeven in ons bisschoppelyck paleys tot Ypre den 18 november 1724.
Was onderteeekent, JOANNES-BAPTISTA, Episcopus Iprensis.
En leeger stont ter ordonnantie van Syne Hoogwt voornoomt.
FRANSSENS.
(Plaetse der segels.)"
Jusqu'à ce que l'importance de la maison détermina Mgr l'évêque d'Ypres à y placer un directeur à demeure. M. l'abbé Delport, le même probablement qui, dans la suite, devint curé de Strazeele, y fut nommé le 8 juillet 1769
"(Reg. 100, fol 357. 8 julii 1709.)
Expedita commissio pro sacerdote soeculari apud FF. Antoninos in Monte Catsio tenoris sequentis. FELIX ..etc. Dilecto nobis in Christo Magro Joanni Francisco DELPORTE(sic) Dioee. Nrae Pbro salutem. Quando quidem pro conservandà regulari observantià in Domos Fratrum Antoninorum sita in Monte Catsio sub parochià de Godsvelde dioecesis nostrae non solum antiquas corum regulas et constitutiones innovare, sed insuper novas aliquas ordinationes praescribere necessarium duxerimus ; nominatim verô ut exinceps et in posterium in praefato domo presbyter aliquis saecularis per nos designandus perpetuô residcat et communitate in certis munijs et functionibus inserviat : en propter, nos de tuà discretione, probitate alijsque qualitatibus plenè instructi, te ad hune locum et officium committimus et designamus per praesentes pro tempore ad bene placitum nostrum duraturo sub legibus et conditionibus in supra dictis ordinationibus nostris latiùs deductis; requirentes ut praenominati fratres Antonini te in eà qualitate statim recipiant, caetera que praestent, quae illis per perdictas ordinationes respectivè injunguntur. Datum Ypris in palatio, etc....."
M. Blanckaert, plus tard Curé de Flêtre, lui succéda. Michel-Joseph-Cornil Blanckaert, malgré ses infirmités, fut déporté pour refus de serment le 11 septembre 1792; rentré clandestinement en France, il mourut immédiatement après, et fut enterré dans le jardin du moulin de Pradelles en décembre 1795. Il eut lui-même pour successeur M. Charles-Joseph-Marie Vandermeersch, plus tard son vicaire, puis son successeur à Flêtre: M. Charles-Joseph-Marie Vandermeersch, fils aîné de Benoit-Joseph et de Marie Anne-Caroline Claire van Pradelles de Palmaert, était né à Bailleul le 17 décembre 1758 et fut aussi déporté pour refus de serment. Il mourut pieusement à Bailleul le 20 septembre 1836.
Les Frères avaient le droit de se faire enterrer dans leur chapelle; l'inhumation des pensionnaires et des personnes étrangères à la communauté avait lieu dans le cimetière du couvent, qui fut béni en 1777. La croix de ce cimetière, placée sur un monticule à une hauteur de 40 pieds, domine la montagne et se voit encore de nos jours. C'est le seul monument qui nous reste de leur séjour dans le pays.
D'après la tradition, le pensionnat des Frères ermites eut une grande vogue; on y compta plus de 200 élèves recrutés dans la classe moyenne de la société.
Le personnel des Frères était-il nombreux? Nous l'ignorons. Les états dressés en vertu de la loi de février 1790, qui prescrivait de relever le personnel des maisons religieuses en France, ne font pas mention des Ermites du Catsberg; c'est la seule communauté du district d'Hazebrouck qui n'y figure pas. Peut-être ne considérait-on pas les Frères Antonins comme de véritables religieux? Une note de M. David semblerait l'insinuer. Ou bien, par suite de leur union avec les Ermites de Kemmel et de la nationalité de leur supérieur, l'évêque d'Ypres, les regardait-on comme étant d'origine étrangère? Ce sont des questions que nous ne déciderons pas.
Quoi qu'il en soit, nous savons que ces Frères se trouvaient encore dans leur ermitage en 1792 et qu'ils n'avaient pas prêté le serment. Le prieur de la communauté à cette époque s'appelait Jacques Dequidt. Pierre-Jacques Dequidt, fils de Pierre-Joseph et de Marie-Thérèse Rue était né à Caestre le 3 novembre 1727, et religieux depuis 44 ans. C'est un des rares supérieurs de la communauté dont le nom soit parvenu jusqu'à nous.
Fr. François Wullems, élu supérieur en juillet 1689. L'élection était présidée par Frans de Leeuw, doyen de la chrétienté de Bailleul.
Fr. Joseph Rollier, + en 1765.
Fr Antoine Becuwe, démissionnaire en 1770.
Fr. Paul Wecksteen, élu en 1770.
Fr. Jacques Dequidt, supérieur au moment de la suppression de la maison.
A la fin du XVIIe siècle et au commencement du XVIIIe, c'étaient des Frères ermites du Catsberg qui remplissaient les fonctions de clerc-sacristain dans l'église paroissiale de Bailleul. Les registres paroissiaux et les inscriptions funéraires relevées dans l'église, avant 1790, nous font connaitre deux d'entre eux qui portaient le même nom et qui moururent dans l'exercice de ces fonctions. On lit dans le registre paroissial de Bailleul :
"10 aprilis 1705, obiit Fr. Antonino Dehont, ermita de monte Felano, qui deservivit custodiam 11 annis; transtulerunt ad montem". (Le 10 avril mourut Frère Antonin Dehont, ermite du mont des Cats. On le transporta à la montagne.)
Nota: Sur le site des Archives départementales du Nord, registre Paroissial des décès la date est le 10 août 1705.
La tempête révolutionnaire qui bouleversa la France finit aussi par enlever sur sa lame furieuse les Ermites du Catsberg; leur chapelle avait été spoliée:
Argenterie trouvée dans la chapelle des Frères Antonins du mont des Cats et expédiée à la Monnaie de Lille en 1792 :
Un calice avec sa patène pesant ensemble 13 onces 17 éterlins;
Un calice avec sa patène pesant 13 onces 4 éterlins.
Total : 27 onces 4 éterlins.
Le peu de biens qu'ils possédaient furent vendus nationalement l'an V et VII de la République, et leur couvent démoli. C'est sur les ruines de l'ermitage qu'a été bâti le monastère des RR. PP. Trappistes, fondé en 1826 par M. Nicolas-Joseph Ruyssen, peintre d'histoire, né à Hazebrouck.
Biens des Frères Antonins du Catsberg vendus nationalement an V et VI :
A Godewaersvelde : Emplacement du couvent, 3 m. 1 q. ; bois taillis, 12 m. (15 m. 1 q.)
A Berthen : Terre vague et labour, 22 m. ; terre à labour, 3 m. ; bois taillis, 2 m. 1 q. ; petite ferme, 10 m. (37 m. 1 q.)
Total.: 52 m. 2 q.
Nous sommes arrivés à l'époque où la Providence voulait établir, sur le mont des Cattes, une colonie de Trappistes, ou moines de l'Ordre de Cîteaux.
Le pays était à cette époque privé de maisons d’enseignement primaire, et M. Ruyssen songeait à le doter d’un établissement de ce genre. Sur ces entrefaites, les débris de l’ermitage des P. P. Antonins du mont des Cattes, vinrent à être mis en vente; il les acheta, les fit aménager d’abord pour son usage et s’y vint installer avec son chapelain, le P. Izoard, ancien Guillelmite.
Pour accomplir son dessein de fonder une œuvre d’instruction primaire, il fit appel d’abord aux Jésuites qui ne crurent pas pouvoir répondre à ses avances, puis il s’adressa aux Frères de la Doctrine Chrétienne: ceux-ci acceptèrent l’établissement d’un Pensionnat, mais ils ne se chargeaient que de faire les classes, le reste était laissé aux soins de M. Ruyssen. L’ermitage reçut une centaine d’élève c'était un beau commencement, mais, après deux ans, M. Ruyssen résilia la convention passée par lui avec les Frères et se tourna vers les Trappistes du Gard.
D. Eugène Bonhomme de la Prade avait racheté en 1816, l'année même de sa mort, Notre-Dame du Gard. Dix ans plus tard, la communauté avait prospéré assez pour devoir songer à essaimer. Elle se demandait où iraient ses colons, quand M. Ruyssen vint à point lui faire ses offres. L’Abbé D. Germain Gillon envoya aussitôt en Flandre, son cellérier, le P. Olympiade, pour étudier la question: l'établissement jugé possible, fut aussitôt résolu. Les conditions n'étaient cependant pas brillantes: le pieux fondateur ne donnait que la maison, le gros mobilier, quelques mesures de bois taillis et de terrain inculte. Sans revenus, les Pères de la nouvelle maison ne pourraient se soutenir qu'en recourant à la charité des fidèles. Il ne fallait pas compter sur la maison-mère, le Gard n’était rien moins que riche: sa communauté de 84 personnes tirait en partie ses ressources du Nord; ces ressources allaient lui manquer par la fondation du mont des Cattes, mais en revanche, le départ de la colonie diminuait les charges.
Les Pères désignés comme premiers pionniers du mont des Cattes étaient autant de héros qui allaient affronter des difficultés presque insurmontables:
1° Le Révérend Père Marie-Joseph, prieur, jusque-là aumônier des Cisterciennes de Soleil- mont (près de Charleroi, Belgique).
2° Le R.P. Nil, cellérier, ancien convers, devenu choriste, alors sous-diacre. Le P. François-Marie, prieur du Gard, l'avait pris en affection, lui avait fait faire ses études et l’avait établi maitre des convers.
3° Six frères convers, les frères Philippe, Jean-Baptiste, Laurent, Alexandre, Félix et Raymond, ces trois derniers encore novices.
Le départ avait été fixé au 15 janvier 1826. Dans le couvent, en dehors du conseil de l'Abbé, rien n'avait encore transpiré des projets de fondation. Aussi la veille de la sortie ceux qui, sans le savoir, étaient commandés pour le service d'émigration, furent bien étonnés qu'on les fit changer de vêtements. Après Matines, le cellérier les mena chez le R. P. Abbé, qui commença par les exhorter à l'obéissance et les interrogea sur leurs dispositions à ce sujet. Tous répondirent qu'ils étaient prêts à accepter n'importe quelle obédience. Le R. P. Abbé leur annonça alors qu'ils allaient fonder une nouvelle maison et partir immédiatement: rien de plus, sur le lieu et les conditions du nouvel établissement. Avant embrassé leur Supérieur, munis de sa bénédiction et de ses souhaits, les sept partants (leur prieur n'était pas avec eux encore) franchirent l'enclos du Gard: à la porte du jardin qui longe la rivière de la Somme, un humble véhicule les attendait pour les transporter à leur demeure mystérieuse non pas tous: quatre d'entre eux, faute de places, prirent la voiture de Saint- François. Ils s'en allèrent sans provisions « nolite portare neque sacculum neque peram »; seuls les cellériers, le P. Olympiade du Gard et le P. Nil du mont des Cattes, avaient un bréviaire. Ce départ avait lieu à cinq heures du matin: le sol couvert de neige reflétait encore la clarté de la lune. La caravane fit halte à Frévent, à Saint- Pol, où elle passa la nuit, et en tous lieux racontait le F. Raymond, les séculiers, déshabitués de voir la robe monastique, se pressaient pour considérer ces hommes d'un autre âge: un tel spectacle leur semblait emprunté aux enluminures d’un livre d'heures médiéval, bien que le moine soit réellement de tous les siècles. La seconde nuit de cet exode arrêta nos voyageurs à Amettes; ils y firent leur pèlerinage au grand pauvre qui avait tant désiré vivre de la vie cistercienne, et dont ils allaient imiter, pendant de longues années, le dénuement.
Le doyen d'Aire, le lendemain, fut enchanté d'héberger des Trappistes ce vénérable M. Ancelin voulut même leur donner le Salut dans sa chapelle privée. C'était la dernière étape des colons: à midi, ils arrivèrent dans la ville d'Hazebrouck; là, les attendait un chariot envoyé par leur fondateur à leur rencontre pour les conduire à leur nouvelle habitation. Les curieux se portaient de plus en plus au-devant d'eux, et ils eurent même quelque peine à sortir de la ville. Enfin, le soir, ils descendirent chez M. Ruyssen, qui les attendait impatiemment. Alors seulement le P. Olympiade leur dit: « Mes frères, vous êtes chez vous, c'est ici le lieu de votre repos. Il m'était interdit de vous renseigner avant d'être arrivés ». Le R. P. Germain avait voulu mettre à la base de la nouvelle maison cistercienne le mérite d'un sublime sacrifice accompli dans une parfaite simplicité d'esprit.
L'excellent M. Ruyssen ne savait assez témoigner aux arrivants son bonheur de les posséder, aussi cette première soirée se prolongea-t-elle bien avant dans la nuit.
Le 25 janvier arriva le Père Prieur M.-Joseph: le lendemain, il procédait à la cérémonie d'installation. Il y eut messe et communion, puis la petite communauté se rendit processionnellement à la « chapelle blanche »; le Père Prieur M.-Joseph et le Père Olympiade marchaient en tête en chantant des psaumes; venaient ensuite les Frères Convers, M. Ruyssen, son neveu, son chapelain, les domestiques et quelques habitants de la montagne.
Le ciel avait préparé un épais tapis de neige aux Trappistes pour leur prise de possession, comme l'enfant Jésus à Bethléem, ils arrivaient dans un pays étranger, en plein hiver; mais ils y trouvaient au moins un gîte habitable. La maison qui leur était cédée était un bâtiment d'environ 200 pieds de long, comportant deux ailes avec étage et toit couvert en pannes. Au rez-de-chaussée, se trouvaient une chapelle et les anciennes classes des Frères de la Doctrine Chrétienne; au-dessus, les étroites cellules des pensionnaires; la cour, plantée de tilleuls, était entourée d'une haie vive. Quinze jours après l'installation, les PP. Albéric, prêtre, et Pierre-Marie vinrent renforcer la colonie: ils y apportaient les livres liturgiques indispensables, et l'office commença dès lors à se réciter sur le mont des Cattes, pour n'y être, il faut l'espérer, plus jamais interrompu: Te decet hymnus, Deus, in Sion.
Après la fête de Pâques, Dom Germain vint visiter ses enfants de la Flandre, et régulariser leur situation. Le fondateur se prêta de bonne grâce à ce que l’on attendait de lui et passa un contrat, - portant quittance - par lequel il déclarait vendre au R. P. Abbé sa maison pour le prix de quinze mille francs.
Dans une seconde visite au mont des Cattes, l'Abbé du Gard reçut la profession de deux frères novices, et fit l'acquisition d'un petit bois.
Depuis que les Trappistes occupaient son habitation, le bon M. Ruyssen avait pris possession d'une humble chaumière du côté de Godewaersvelde, mais il passait sa journée au couvent, assistait aux offices et à la lecture; se plaisait au milieu de ses moines, et pour ceux-ci la piété toute simple de ce digne vieillard était un sujet d'édification. Dieu se hâta de le récompenser de sa bonne œuvre: le 7 mai 1826, à l'heure de Matines, il appelait subitement à lui son serviteur. Dans son testament, M. Ruyssen avait inséré la clause que les religieux enseigneraient le flamand, le français et les principes de la religion aux enfants du voisinage: nous verrons qu'ils furent fidèles à observer ces volontés de leur fondateur.
Les moines eurent à cœur de rendre à la dépouille mortelle de M. Ruyssen les honneurs qui lui étaient dus; ils lui firent de solennelles funérailles, et déposèrent son corps dans la chapelle. Plus tard, quand fut construite la première église, les restes de M. Ruyssen furent placés dans le chœur des convers. Une dalle de marbre blanc portait une inscription reproduite aujourd’hui presque littéralement, dans le bas chœur de la seconde église :
La nouveauté de leur établissement attira aux Trappistes de nombreuses visites. Dés la fin de mai 1826, des postulants se présentèrent, entre autres le P. Jean Climaque, plus tard sous-prieur, et le P. Augustin, qui devint hôtelier et donna le plus bel exemple de la patience chrétienne un mal affreux, la gangrène, le rongea peu à peu sans lui rien enlever de sa franche gaîté.
M. Ruyssen mort, le monastère se vit dans une grande pénurie. Faute d'habits de rechange, les moines, pour laver leurs robes, étaient réduits à faire la lessive en coule, c'est-à-dire avec leur ample habit de chœur; faute de pommes de terre, ils ne mangeaient plus qu'une grosse soupe faite de pain et d'herbes cueillies au jardin. Aussi le F. Raymond, chargé des hôtes, était-il à bout d'expédients il y avait bien le jardin de Ruyssen, mais c'était un parterre fait seulement pour le régal des veux quant aux terres broussailleuses qui entouraient le couvent, c'est à la sueur de leur front, à force de labours profonds et de larges fumures, que les moines rendirent fécond ce désert de sable, balayé trop souvent par de furieuses tempêtes.
Au milieu de ce dénûment, la nécessité se montrait urgente d'exécuter plusieurs travaux: il fallut d'abord creuser une citerne pour recueillir les eaux du ciel, car, en temps de sécheresse, force était d'aller chercher au bas de la montagne toute l'eau nécessaire au couvent: puis, pour servir d'hôtellerie aux personnes du sexe, parentes des moines ou bienfaitrices de la communauté, on transporta jusqu'auprès du monastère, et sans la démolir, une petite maison qui était voisine du moulin connu encore aujourd'hui sous le nom de Steemul; enfin on construisit, cette même année, une écurie, une étable et une grange. Ces travaux étaient hors de proportion avec les ressources du monastère, aussi la reconnaissance, cette mémoire du cœur, a-t-elle conservé vivant parmi nous le pieux souvenir de nos premiers bienfaiteurs. M. Delabarre, receveur de l'enregistrement, mort en 1843, géra, durant plusieurs années, les intérêts temporels des Trappistes; Mlle Vercheure paya la construction de l’église; M. du Sart d'Escarnes (mort à 80 ans, en 1843, en Belgique) donna aux religieux des bois de charpente pour une valeur de 6000 fr; M. le comte du Tertre, de Saint-Orner, ancien général, offrit la cloche et en fut parrain, avec sa nièce, Mlle de Ghistelles, pour marraine: celle-ci fit cadeau d'une chasuble brodée de ses mains. M. du Tertre, homme d'une rare piété, passait son carême au monastère, suivant les religieux au chœur et au réfectoire. Mort en 1852, il a voulu perpétuer son souvenir parmi ses chers Trappistes, en leur laissant son portrait. La communauté dut beaucoup alors aux libéralités de M. Cirier de Bergues, magistrat à Saint-Orner; de la famille Cleenwerck, de Bailleul; de M. Dussart, de Flêtre; de M. le baron de l'Epine. Grâce à leurs secours, les moines purent vivre et observer leurs constitutions. Suivant le désir de M. Ruyssen, une école fut établie où un religieux de chœur et un frère convers instruisaient les enfants.
Vers la fin de 1826, le P. Maur Dezitter, Bailleulois, profès du Gard, vint au mont des Cattes. Ce religieux se distinguait par sa grande dévotion envers la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et par son héroïque mortification. Assez longtemps il vécut alternativement sans boire ou sans manger. Il mourut en 1834, et fut enterré à Bailleul, car le cimetière propre du monastère ne fut établi qu'en 1835; la foule pieuse qui assistait à ses funérailles montra combien il était en vénération.
Au commencement de 1827, le P. prieur M. Joseph retourne chez les Dames de Soleil-mont, il est remplacé dans ses fonctions par le P. Bernard. Plusieurs autres religieux viennent du Gard au mont des Cattes, entre autres le P. Stanislas: plus tard, il succédera à D. Germain au Gard, puis transférera sa communauté à Septfons; mais auparavant il aidera à la fondation de Saint-Sixte (Belgique), le P. prieur François-Marie, né à Anvers d'une famille noble, le P. François-Marie (dans le monde André Van Langendonck) quitta le siècle, et au Gard et au mont des Cattes donna l'exemple des plus belles vertus; il partit pour Saint-Sixte avec les frères Alexis et Mansuède.
L'endroit avait été habité par des moines Augustins le monastère qu'ils y établirent, devenu abbaye en 1872, est affilié à celui de Westmalle depuis 1836. Saint-Sixte est situé dans un bois de sapins, à trois lieues du mont des Cattes et une lieue de Poperingue. C'est là que le P. François mourut en odeur de sainteté (Son corps fut retrouvé intact en 1843; sa vie a été écrite.), le 2 novembre 1836.
En 1829, fut solennellement bénite la première pierre de l'église du mont des Cattes; et cette année aussi l'on commença la construction du chapitre et du premier quartier des hôtes. Nous nous rappelons ce quartier, ses salles étroites, si basses d'encuvement que la main atteignait aisément le plafond: comme le petit couvent de Saint-Damien d'Assise, ce bâtiment était, pour ainsi dire, paré d'une pauvreté pleine de charme et d'édification. Extérieurement blanchi à la chaux, il brillait dans la verdure des bois comme un marabout arabe sur une montagne d'Algérie: bref, il avait sa poésie et surtout combien de pieux souvenirs!
La communauté, composée de 30 personnes, était sous la direction du P. Nil, à la fois prieur, cellérier, quêteur. Il acheva l'église et les lieux réguliers, acheta des terres, fit bénir avec pompe l'église, reçut la visite de M. le préfet du Nord, puis celle de Mgr Belmas. Peu après, le P. Nil se démit de sa supériorité; le P. Désiré n'acceptait qu'à regret d'être son remplaçant, aussi fut-il heureux quand, le 20 juillet 1835, D. Stanislas, Abbé du Gard, amena au mont des Cattes le P. Augustin et le nomma Supérieur. Sous le P. Augustin, les travaux d'aménagement continuèrent à la ferme: l'église se meubla, les cloîtres furent dallés, le cimetière transféré du préau dans le jardin. On y refit la butte élevée par les Antonins, et du sommet, point culminant du mont des Cattes, de nouveau le Christ étendit ses bras protecteurs sur le pays flamand. En 1896, le monticule fut démoli, et les morts qui reposaient à l'entour furent transférés au cimetière actuel, situé à quelques mètres de l'ancien.
Ce premier monastère avait, dès lors l'aspect que nous lui avons connu: insuffisant à une communauté un peu nombreuse, il était de proportions étroites et d'une simplicité voisine de la misère, mais il présentait au moins des lieux réguliers distribués suivant le plan traditionnel.
On sait que le, maisons cisterciennes sont toutes placées sous le vocable de la Sainte Vierge. Le moutier du mont des Cattes s'appela, dès l'origine, Notre-Dame du mont des Cattes.<:P>
Le P. Athanase Itsweire, prieur titulaire de Notre-Dame du mont des Cattes, au moment où ce monastère devint abbaye, est une figure sympathique dont nous devons esquisser quelques traits.
Natif d’Hazebrouck, d'abord vicaire à Bailleul où il laissa le parfum des vertus sacerdotales les plus solides, ensuite curé à Grande-Synthe où il ferma la plaie des unions purement civiles, il entra au mont des Cattes en 1836, et deux ans après fut nommé prieur en remplacement du P. Augustin. C'était un homme accompli, joignant une étonnante activité à une angélique piété. Souvent on le vit verser des larmes en célébrant les Saints Mystères: au chœur sa puissante voix soutenait et entraînait ses frères, comme au travail son énergie incomparable les excitait sans relâche. S'il péchait en quelque chose, c'était par excès de zèle, d'ardeur, de courage: il lui manquait un peu de modération et de compassion pour la faiblesse de ses frères.
Cependant cette tendance était chez lui corrigée par une charité profonde et un dévouement absolu: il en donna maintes preuves, soit envers ses frères, soit envers les séculiers, dans les visites qu'il faisait et recevait comme directeur de conscience ou comme médecin: car il était aussi habile guérisseur des corps que des âmes. Les pauvres de la montagne avaient toute sa prédilection. Malgré ses occupations, il était d'une exactitude exemplaire; jamais ses courses auprès des malades ne lui firent manquer le chœur. Il fallait une nature organisée comme la sienne, au physique et au moral, pour faire face à tant de travaux et à l'accomplissement de tous ses devoirs. Sous son priorat, l'école fut bâtie sur la route de Godewaersvelde et de nouveaux achats de terrains arrondirent le petit domaine des Pères.
Depuis plusieurs années déjà, Mgr Belmas, évêque de Cambrai, avait exprimé le désir d'avoir un Abbé au mont des Cattes; son successeur, le cardinal Giraud, obtint en 1847 l'érection du prieuré en abbaye et communiqua aux Trappistes les dispositions suivantes:
« Art. 1°. Est supprimé le litre de prieuré au monastère des Trappistes, situé sur le mont des Cattes, Archevêché de Cambrai.
« Art. 2. Le monastère susnommé est érigé en abbaye.
« Art. 3. L'abbaye présentement érigée ne sera plus appelée du mont des Cattes, comme elle l'a été jusqu'à présent, mais se nommera Sainte-Marie-du-Mont. »
Le R. P. Stanislas de Septfons, Vicaire général de la congrégation de Rancé, fit don à la nouvelle abbaye d'une crosse en buis d'un travail très artistique, provenant de D. Germain, et qui fut offerte autrefois, croyons-nous, à D. Eugène, Abbé de Darfeld, par le baron de Droste. Ainsi la Flandre retrouvait définitivement une maison de Cîteaux: Saint-Marie-du-Mont réveille le souvenir des 27 monastères cisterciens que notre contrée avait possédés avant la Révolution: les Dunes, Loos, Marquette, Clairmarais, Beaupré, Ravensberg, Woestyne, etc.; ainsi, par l'érection du mont des Cattes en abbaye, l'œuvre du peintre Ruyssen était consolidée. Le P. Athanase ne fut pas élu Abbé: la communauté, tout en lui prodiguant son affection, redoutait sa grande austérité. C'était un rude saint, plutôt du XII° siècle que du nôtre. Mais il resta, dans sa charge de prieur, le bras droit du premier Supérieur et continua à exercer son zèle au double service de Dieu et du prochain, jusqu'au jour où il fut martyr de sa charité. C'était pendant le terrible hiver de 1870 les soldats de France allaient être moissonnés sur les champs de bataille; lui aussi trouva la mort sur le champ de bataille du dévouement chrétien. Il rentrait pour l'heure des vêpres tout inondé de sueur, le froid le saisit, une pleurésie se déclara. Le soir, il administrait un de ses frères le surlendemain, lui-même, muni des derniers sacrements, allait recevoir au ciel le prix de ses travaux. Toute la population des pays voisins assista aux obsèques de ce digne prieur qui possédait à un si haut degré l'estime et la vénération générales: les pauvres le regrettèrent longtemps.
Sainte-Marie-du-Mont porte pour armes d'azur à une montagne d'argent que surmonte une | ![]() |
de même, rayonnante d'or sa devise est: |
Le 10 septembre 1814, naquit à Cassel, Dominique-Denis Lacaes, fils de Joones et de Anne-Thérèse Leurèle. Son père aimait à porter la décoration du Lys, récompense de sa fidélité au Roi. Engagé en 1794 dans le royal émigrant, il fut à Quiberon, d'où il parvint à s'échapper pour prendre du service dans un corps vendéen, dans lequel il resta jusqu'à la pacification. Un document officiel, conservé par le R. P. Dominique, qualifie son père d'ancien lieutenant des armées royales de l'Ouest. En quittant la Flandre, Joones Lacaes avait perdu sa petite fortune; à son retour, il s'établit jardinier.
Un oncle du R. P. Dominique, Récollet à Cassel avant la révolution, avait eu pour élève le général Vandamme. L'élève gardait peut-être rancune au maître, disait D. Dominique, pour certaines corrections corporelles en usage à cette époque: après lui avoir accordé un passeport, il le fit arrêter à la frontière et mener à Béthune pour y subir la peine capitale.
Le petit Dominique montra de bonne heure des dispositions pour la vie intérieure: dès le collège de Cassel, puis au petit séminaire, il faisait ses délices du Combat spirituel et de limitation (Quand le P. Dominique devint Abbé, il emprunta le motif de ses armes et sa devise au chapitre XII du 2° livre de l’Imitation: Jésus portant sa croix avec les mots: Tolle crucem tuam et sequere me). Au grand séminaire, il évitait, l'hiver, de s'approcher du feu, on le voyait fort zélé pour l'entretien de la chapelle, enfin si pieux qu'on le regardait comme un saint. Il fut ordonné prêtre le 22 décembre 1838, et nommé aumônier à l'hôpital général de Lille, où il choisit l'abbé Bernard pour son directeur.
Bientôt assistant du curé de Sainte-Marie-Capelle, non loin du mont des Cattes, il y fit une retraite sous la direction du P. Athanase Itsweire, il était dès lors décidé à se faire moine, mais certains empêchements retardaient l'exécution de son dessein. Nommé vicaire à Bailleul, il se livra à de telles macérations que sa robuste constitution en fut ébranlée durant plusieurs année. Alors, sur les conseils de son directeur, l'abbé Lacaes partit pour Tronchiennes, et commença son noviciat chez les Jésuites. Mais là n’était pas la place que lui destinait la Providence. Il en sortit et se rendit à Westmalle, alors maison-mère de la congrégation des Trappistes belges, et il y reçut l'habit sous le nom d’Augustin; ce n'était pas encore le lieu de repos que le Seigneur lui avait préparé. Dominique le sentit et vint au mont des Cattes où il conserva, sous la chape de novice, son nom de baptême. M. Bernard lui écrivait « Votre séjour chez les Jésuites vous aura servi beaucoup. Vous en avez emporté une grande estime pour leurs exercices spirituels, pour leur direction et pour leurs livres. »
Toute sa vie D. Dominique fut un homme intérieur: voici un souvenir de son noviciat, une note de direction: « Chaque vendredi, je m'examinerai sur ma fidélité à la dévotion au Sacré-Cœur et visites au Saint Sacrement, lectures spirituelles, régularité, présence de Dieu et constance à le chercher uniquement en tout. » Sa santé restait bien précaire et ce ne fut qu'en 1850, après un séjour forcé chez les Ursulines de Gravelines, qu'il se sentit délivré du mal qui mettait ses jours en danger. Il fit profession le 1° juillet 1842. Le P. Athanase lui confia la bibliothèque, et le fit bientôt son sous-prieur. Ces deux hommes avaient le même amour de Dieu, des âmes et de leur sainte vocation, mais le P. Dominique, plus doux, connaissait mieux le chemin des cœurs.
Le 30 juin 1847, sous la présidence du R. P. D. Stanislas de Septfons vicaire général, assisté de quelques ecclésiastiques des environs du mont des Cattes, le couvent procédait, selon l'antique usage, à l'élection de son Abbé. Lecture faite des passages voulus du nomasticon, de la carte de charité, du concile de Trente, de la Règle: de ordinando abbate, après les serments des notaires et des témoins sur les saints Evangiles, l'appel des électeurs, le chant du Veni Creator, après l’instruction du R. P. Président et le serment des scrutateurs, il fut procédé au scrutin par bulletins déposés dans une urne. La cérémonie, commencée à neuf heures, se termina à midi et demi par l'élection du R. P. Dominique, Abbé de Sainte-Marie. Il prononça aussitôt la formule d'acceptation. Désormais le temporel et le spirituel de la maison étaient sous sa direction, et le R. P. de Géramb, procureur, écrivant de Rome, félicitait le P. Prieur d’avoir échappé à cette lourde responsabilité. La bénédiction du nouveau prélat eut lieu le 1° juin 1848. Elle lui fut données par l'éminent cardinal Giraud, accompagné de M. Leleu, l’ancien supérieur du R. P. Lacaes au séminaire. D. Stanislas et D. François d'Assise, Abbé de Port du Salut, étaient les assistants. Pour bénir un Abbé, on suit absolument le cérémonial de la consécration d'un évêque, excepté le sacre lui-même. La montagne était couverte d'une foule immense accourue pour être témoin de ce beau spectacle. La cérémonie dura de 8 heures à 11 heures. On remarquait dans l'assistance un octogénaire vénérable qui, au banquet, fut placé auprès de Mgr Giraud; c'était M. Lacaes, père de Dominique; les traits du vieux chouan laissaient voir la profonde émotion de son cœur.
D. Dominique construisit les ateliers, et une chapelle sous le vocable de saint Constance pour les habitants du pays voisin; elle fut, plus tard rebâtie avec le quartier des étrangers, et les reliques du saint y furent déposées en grande pompe. D. Dominique acheva de meubler l'église, dont la construction avait été commencée par le P. Nil et par le P. Athanase. Cet édifice mesurait intérieurement 30 mètres de longueur, sur 10 de largeur, et avait sous voûtes une hauteur de 13 mètres. Il présentait extérieurement un aspect de fabrique romaine, grands murs avec jambes de force et percés sur chaque côté de trois larges baies en forme de demi-lunes. Au-dessus du petit porche on lisait, sous une statuette de la Sainte Vierge, les vers suivants:
D. Dominique plaça une statue de Notre-Dame dans la chapelle absidiale, et décora la nef de huit statues d'apôtres de grandeur naturelle. Cette église avait six autels. Les voûtes surbaissées, avec arcs doubleaux en anse de panier, la rendaient très sonore; elle n'offrait rien de remarquable d'ailleurs au point de vue architectural. Après le P. Athanase, un des religieux les plus intimement unis au R. P. Abbé, fut son cousin, le bon P. cellérier Albéric Leurèle, qui prit l'habit en 1848. Doué d'un solide jugement, d'un caractère enjoué, cachant de la finesse sous un air de bonhomie, le P. Albéric était à la fois bon religieux et excellent homme d'affaires: au milieu des soins du matériel, il sut exercer un véritable apostolat. Il montra un mâle courage dans les infirmités très pénibles qui accablèrent ses dernières années, dans les accidents qui lui firent perdre un doigt et subir une opération à la lèvre. Il mourut en juin 1883, suivant de près son Supérieur dans la tombe.
En décembre 1882, le R. P. Dominique, épuisé par sa longue vie de pénitence, était atteint d'un asthme et de la maladie que la science appela « hydro péricardite », avec enflure et ulcération des membres inférieurs. Malgré ses infirmités, il officia aux fêtes de Noël et à celles de la fin de l'année; ce fut pour lui, dans son état, une fatigue excessive qui acheva de le réduire. Dans la nuit du 1° au 2 janvier 1883, après avoir entonné le Te Deum, le R. P. se disposait à lire, sur un pupitre préparé près de sa stalle, l'évangile du jour de l'Octave de saint Etienne, quand il s'affaissa épuisé, tombant ainsi, comme un vaillant soldat du Christ, bonus miles Christi, les armes à la main. Cette scène saisissante a inspiré à M. de Coninck, de Meteren, un tableau où son talent a su s’élever à la hauteur de ce sujet plein de grandeur.
Une fois encore, après cette défaillance, le R. P. Abbé se fit transporter au chapitre, et le texte de sa dernière instruction fut: Non nobis. Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam.
Le jeudi, il avait présidé lui-même aux préparatifs de son administration; avant de monter au dortoir, chaque religieux avait reçu de ce père vénéré un avis particulier et la bénédiction suprême. Le lendemain, premier vendredi de l'année, à l'heure où les prêtres allaient commencer leur messe, D. Dominique remettait son âme à Dieu. A ses funérailles, qui eurent lieu le 8 janvier, tout le pays montra en quelle estime il avait ce digne prélat. Après les cinq absoutes données par le R.P. Abbe de Saint-Sixte, le corps fut porté au cimetière par huit prêtres séculiers en aube et étole. Les usages liturgiques de Cîteaux, si touchants dans leur majestueuse simplicité, s'accomplirent on ramena le capuce sur le visage du mort descendu dans la fosse, lui laissant sa croix pectorale et sa crosse de bois noir; la terre coula peu à peu sur ses pieds, puis le couvrit entièrement. Son modeste monument rappelle sa dignité d'Abbé et ses quarante et un ans de profession. En 1896, par suite de la reconstruction du monastère, le cimetière fut déplacé, et toutes les tombes ouvertes. D. Dominique fut revu; les vêtements étaient en lambeaux, les chairs consumées, la croix encore suspendue au cordon, la crosse brisée. Actuellement ses restes reposent près de la chapelle centrale de l'abside, et les moines vont s'agenouiller au pied de la croix de pierre de leur premier Abbé, vrai modèle de régularité, bon sergent du Christ dans son abbaye: ils prient pour lui et surtout l’invoquent comme un puissant protecteur.
Henri Wyart est né à Bouchain, le 12 Octobre 1839, d'une famille honorable et foncièrement catholique. Il avait pour oncle le général Hugot, qui, après trente-deux ans de séjour en Afrique, se trouva tellement brisé par la fatigue et le climat que tous les remèdes furent impuissants à le rétablir. Un autre oncle de H. Wyart, l'abbé Wyart, curé de Mazinghien, une sorte de colonel en soutane, fit le voyage de Constantine pour ramener le général malade, moribond. Le voyage, la traversée surtout furent pénibles. Arrivé au presbytère de son beau-frère, le soldat chrétien ne survécut que huit jours. Il pressa lui-même le curé de lui donner les derniers sacrements et, plein de foi et de confiance, il alla recevoir le prix de sa vaillante vie. Le pasteur de Mazinghien fit ériger, dans son église un monument artistique à ce brave officier.
Au collège de Valenciennes, au petit séminaire, Henri se distinguait par un entrain un peu trop martial. Il avait divisé la cour en deux camps, et les récréations se passaient en combats. Il préludait ainsi à ses futurs exploits. Dans une comédie, on le vit jouer avec grand succès le rôle de chef de brigands. Il montrait par ailleurs du jugement, un esprit ouvert, mais on lui trouvait, pour un aspirant au sacerdoce, des allures un peu militaires. Henri avait terminé sa rhétorique. Mgr Monnier, alors supérieur du séminaire, envoya Wyart au collège de Tourcoing avec l'office de surveillant. M. le Principal était averti que l’abbé Wiart, - car il avait alors la soutane, - « était un homme de caractère, capable, distingué, non sans influence ». Longtemps après, Mgr .Monnier, évêque de Lydda, visitant le mont des Cattes, rappelait, aux religieux le souvenir des doux camps du séminaire et ajoutait:
« - il commandait dès lors à merveille, et je ne doute pas qu'il ne soit parfaitement à sa place dans la supériorité que vous lui avez dévolue. »
Il n'y a pas lieu de s'étonner qu'un caractère comme celui de Wyart ait répondu avec enthousiasme à l'appel que Pie IX faisait aux gens de cœur en 1860. Il s'engagea un des premiers aux Franco-Belges. Laissons ici parler un de ses compagnons d'armes: au mois de mai 1860, sur les pas de Lamoricière, de Becdelièvre et de Charette, quatre cents Français accoururent à Rome: ils allaient, suivant l'admirable parole de Mme la duchesse de Parme, tous en héros défendre un saint.
Au nombre de ces volontaires de la liberté catholique et du trône pontifical, il en était un, venu du fond de la Flandre, portant allégrement le fardeau de ses vingt ans, figure brune aux traits virils, au regard expressif et résolu, causeur charmant, ami sur, catholique de foi robuste, soldat modèle, toujours le premier au devoir.
Je l'aimai d'une affection fraternelle, et sans lui avoir jamais dit, comme un précieux et vivant exemple. On ne pouvait le quitter sans se sentir meilleur et plus fort, tant sa parole calme et douce reflétait de noblesse et de bon: on sentait qu'en venant se faire soldat, du Pape, il avait fait devant Dieu, dans le pieux mystère de son cœur, le sacrifice de sa jeunesse, de son avenir et de sa vie. A Castelfidardo, sur la colline des Crocettes, après avoir fait le signe de la croix, il marcha à l'ennemi, le front haut, le regard brillant, gravement, bravement, prêt à paraître devant le Dieu des Macchabées s'il voulait le prendre dans sa gloire, comme il prit ce jour-là Gaston de Plessis de Grénédan, Joseph Guérin et tant d'autres héros. Si le zouave de Crimée, le premier soldat du monde, les eût vus charger à la baïonnette un contre vingt, il eût dit s'ils avaient usurpé le nom de zouaves!
Les blessés furent transportés à dos de mulets, en cacolet, à une ambulance provisoire établie un plein soleil, puis, après les premiers pansements, les Piémontais les hissèrent dans des Fourgons d'artillerie, et... en route pour l'église de Castelfidardo! II y avait là sur la paille une cinquantaine de blessés: Hippolyte de Moncuit, R. Iolys, etc., et celui qui écrit ces lignes. Quand je repris connaissance, j'étais cahoté durement sur la banquette du fourgon et, près de moi, dans un flot de sang, je vis, le bras en écharpe fracassé par une balle et le cou traversé par une baïonnette, cet ami que je chérissais, je l'ai dit, d'une affection fraternelle. Il avait vu la mort de près, mais elle n'avait pas voulu de lui. L'impression de ses traits me frappa vivement: ils étaient comme baignés d'un lumineux sourire: on y lisait clairement la mâle satisfaction du devoir accompli et je crus entendre en le contemplant l'hymne des fils de Mathatias: il vaut mieux que nous mourions les armes â la main que de voir la ruine de notre patrie et la destruction de nos autels. »
Quelques mois après, Wyart était à Paris chez M. Keller, le vaillant député catholique, et le chirurgien songeait à amputer ce bras qui devait encore manier l'épée, et supporter ensuite le poids de la crosse. Bouchain, Tourcoing, etc., revirent le glorieux soldat, et partout on lui fit grande fête.
Mais le Pape rappelait ses défenseurs. Le sergent Wyart reprend son poste, la vie de garnison lui offre ses tentations qui réclament d'autres luttes et d'autres victoires, en attendant les luttes du cloître contre l'amour-propre sous les armes de l'obéissance bénédictine.
En 1867, l'invasion garibaldienne le trouva lieutenant. A Bagnorea, il s'agissait de s'emparer du couvent de San Francisco. Charette raconte ainsi cette attaque: « Lorsque les zouaves, conduits par le capitaine Le Gonidec, les lieutenants Wyart et Jacquemont, qui donnaient l'exemple du plus brillant courage, s'approchèrent de ce vaste bâtiment, ils furent accueillis par une fusillade nourrie, mais heureusement mal dirigée, partant de toutes les fenêtres et de toutes les meurtrières. Une grêle de balles sifflaient autour d'eux pendant qu'ils enfonçaient la porte à coups de crosse, et l'on voyait à leur tête un soldat de Castelfidardo, le sous-lieutenant baron de Mirabel, qui dès le début de l'action avait eu le bras gauche traversé d'une balle, et n'avait cessé de combattre. Pâle, sanglant et le bras en écharpe, ce brave officier frappait à coups de hache redoublés les ais qui commençaient à se disjoindre. Enfin la porte céda, et les zouaves se précipitèrent dans le couvent. Les premiers garibaldiens rencontrés périrent sous leurs baïonnettes: les autres, épouvantés, jetèrent leurs armes en demandant grâce à genoux. Parmi eux se trouvait le chef de la bande, le comte Pagliaci, qui prenait le titre de général, et se rendit au lieutenant Wyart avec cinquante-six hommes. »
A Mentana, à la porte Pia, à Patay, le lieutenant, le capitaine adjudant-major Wyart reste le militaire si bien peint dans les lignes que nous avons reproduites. Toujours un grand signe de croix, et... en avant! En Italie, en Bretagne, partout on admirait cet officier, un des plus brillants et des plus sympathiques de ce corps d'élite. La guerre de France terminée, la croix d'honneur vint briller pour lui à côté des ordres pontificaux et des médailles de 1860, 1867. Mais Wyart venait de prendre un uniforme nouveau, et l'étoile au ruban rouge n'a jamais décoré sa poitrine.
Déjà, n'étant que sous-officier, Henri avait annoncé dans une lettre à une de ses cousines "qu'après les affaires, les portes d'un couvent se refermeraient sur lui". Il avait plusieurs fois refusé des situations avantageuses que le siècle lui offrait. La Providence réservait un nouveau genre d'immolation à cette victime pure et généreuse. Quelque temps, il hésita entre Jésuites, Chartreux, Trappistes. Bref, il part pour Saint-Acheul; à Lille, voici un arrêt, le premier train part pour Hazebrouck, il y monte, et se dirige vers le mont des Cattes: c'était là que le voulait le bon Dieu, qui avait sur lui de grands desseins. Le bon R. P. Dominique reçut ce beau capitaine à bras ouverts, et lui affirma sans hésiter qu'il était destiné à la vie cistercienne de la Trappe. Wyart laissa son épée et ses croix à M. Leblanc, son cher Principal de Tourcoing, qui l'accompagna à son entrée définitive au couvent. « Il sera mon successeur » lui confia le P. Abbé. La prédiction se réalisera douze ans plus tard.
Après ses deux ans de noviciat, le capitaine Wyart, qui avait reçu le nom, du prétorien Sébastien, fut nommé hôtelier et charma tous les visiteurs par les qualités que nous lui savons.
En 1875, le R. P. D. Jean de Durat, vicaire général, visitait Sante-Marie-du-Mont, et arrêtait que le P. Sébastien ferait ses études théologiques à Rome. Il alla donc revoir sa chère Ville Eternelle et son bien-aimé Pie IX. Le Souverain Pontife le reçut comme un fils: il le retenait dans de longues audiences, lui donnait ses conseils, l'obligeait à suivre le grand cours de théologie, lui témoignait son amitié en le tutoyant familièrement et en lui faisant de petits cadeaux. Un jour, il tira de dessous sa soutane sa médaille de l'Immaculée-Conception et la céda au moine en disant: « Mais as-tu le droit de la porter? elle est en argent. - Assurément, répond l'ancien soldat du Pape, si Sa Sainteté me dit de la porter. » Une autre fois, après une causerie politique: « Comment, tu es trappiste et tu fais de la politique? - Très Saint Père, avec le Vicaire de Jésus-Christ, toutes les conversations sont sanctifiées. »
Pie IX appuyait beaucoup sur la nécessité de faire de solides études dans les monastères. D. Sébastien s'en souviendra et, devenu Général, il ordonnera en 1894, à tous ceux qui doivent devenir prêtres, de se livrer aux études de morale, de dogme, de droit canon; à tous, moines et novices de chœur, de prendre part à des conférences mensuelles sur la Sainte Ecriture les prêtres auront aussi chaque mois une conférence sur la théologie. De plus, quelques étudiants, choisis dans l'ordre, suivront les cours des universités romaines pour y prendre leurs diplômes de licenciés ou de docteurs. C'est surtout dans le but de former un collège cistercien que le Révérendissime Père Général négocie actuellement l'acquisition de la maison de Sainte-Croix de Jérusalem.
Le P. Sébastien demeura dans la Ville Eternelle jusqu'en 1880, année où fut rendu le décret d'expulsion. A cette époque, D. Dominique avait envoyé dans les maisons de Belgique tous les Religieux et Frères d'origine étrangère; le mont des Cattes était en détresse (Sainte-Marie-du-Mont ne peut oublier le dévouement de ses amis en ces moments pénibles: MM. B. de Jenlis, Arnould et autres, passèrent huit jours au quartier des hôtes, en attendant les crocheteurs qui heureusement ne se présentèrent pas). Dans d'autres circonstances, on aurait fêté le retour du P. Sébastien, décoré maintenant du bonnet de docteur en théologie: mais il s'agissait alors d'organiser un départ, de chercher un refuge, de faire face aux circonstances critiques. L'ancien officier venait à propos pour rendre un peu de force et de joie au R. P. Abbé, brisé de fatigue et accablé de soucis. Il envoya son cher fils à la recherche d'un abri en Belgique ou en Hollande. Parti du mont des Cattes le 20 novembre, le Père trouvait, en la fête de l'Immaculée Conception, les fermes royales de Tilbourg: Koningshoven, domaine jadis de Guillaume II, orné de magnifiques avenues et situé dans une complète solitude. Le tout était remis aux Cisterciens pour trois ans sans redevances, avec faculté d'acheter à l'expiration de ce temps. Trois sujets de Sainte-Marie-du-Mont étaient partis quelque temps auparavant pour le cap de Bonne-Espérance, où l'Ordre possède sa colonie la plus florissante : trois autres furent dirigés vers Tilbourg.
A son retour de Hollande, le P. Sébastien fut nommé prieur de Sainte-Marie-du-Mont. Afin de nourrir la piété des religieux et de favoriser les dévotions particulières, le P. prieur demanda et obtint de placer dans des lieux accessibles à tous, les statues du Sacré-Coeur, de Notre-Darne du Sacré-Cœur, des fondateurs de l'Ordre de Cîteaux, de la Bienheureuse Julienne du Saint-Sacrement, morte cistercienne, de saint Benoît-Joseph Labre, de sainte Gertrude la Grande. Il obtint aussi l'autorisation de brûler plus de six cierges à l'autel quand le Saint-Sacrement serait exposé ; enfin, pour favoriser le goût de l'étude sérieuse, il munit de plusieurs ouvrages de fond la bibliothèque du chapitre (A Sainte-Marie du-Mont, la salle capitulaire est en même temps la salle de lecture et le scriptorium des moines, et c'est aussi au chapitre que se fait la lecture d'avant Complies, et que se trouve la bibliothèque dite régulièrement du cloître ou boite aux livres). Le monastère du mont des Cattes avait échappé aux mesures d'expulsion, et les novices affluaient tout prospérait, et D. Dominique trouvait une grande consolation dans la présence de son cher P. Prieur et ressentait une joie paternelle de l'heureux état de la maison.
Quand D. Dominique eut rendu le dernier soupir, on dut, pour satisfaire la vénération du peuple, porter sa dépouille dans la chapelle extérieure de Saint-Constance, où elle resta exposée deux jours. Le soir du premier jour, après que les séculiers se furent retirés, la communauté veillait auprès du corps. Le P. Prieur, s’adressant à son Abbé, lui promit au nom du couvent que tous resteraient les fidèles observateurs de ses avis, les imitateurs de sa parfaite régularité et de toutes les vertus monastiques dont sa longue carrière leur laissait en héritage un si bel exemple. D. Sébastien, Abbé, ne démentira pas ce langage.
Le 30 janvier 1883, vingt et un votants se réunissaient au chapitre du mont des Cattes sous la présidence de D. Jérôme, Abbé de Septfons, Vicaire général, et nommaient à l’unanimité D. Sébastien, Abbé de Sainte-Marie. La bénédiction du prélat élu fut retardée jusqu’au 26 août. M. le chanoine Leblanc a retracé le tableau de cette fête: Elle fut intime, et des considérations particulières empêchèrent de lui donner tout l'éclat qu'elle méritait. D'ailleurs la mort récente du Roi avait jeté sur cette solennité un voile funèbre qui en aurait dénaturé la réelle physionomie... Mgr Duquesnay, arrivé la veille au soir au monastère présidait la cérémonie.
Le lendemain, accompagné du vicaire général le chanoine Mortier et de l'archiprêtre de Bailleul, M. Coubronne, il inaugurait dès huit heures du matin la cérémonie par la procession et les prières d’usage.
Dans l’assistance, outre les deux Abbés mitrés assistant le R.P. Sébastien à droite D. Jérôme, Abbé de Septfons, et à gauche D. Benoit, Abbé de Westmalle, on remarquait dans les stalles des Religieux les Abbés de Saint-Sixte, de Chambarand, de Port-du-Salut, de la Double, les Prieurs de Mariastern, de Reichicha, de Tamié, de Konings’hoven, M. le chanoine Leblanc, M. le chanoine Pruvost, le digne curé de Mazinghien, M. Wyart, d'anciens zouaves pontificaux et quelques amis dévoués de la maison.
Au banquet, le R.P. Sébastien porta un toast à son Archevêque: « Permettez-moi, Monseigneur, dit-il d'une voix ferme, en mon nom, au nom de mes fils, de mes parents et de mes amis, assemblés ici autour de vous, d'exprimer à Votre Grandeur les sentiments que nous éprouvons en vous voyant dans notre monastère pour une circonstance aussi solennelle. Votre présence, Monseigneur, est pour nous tout à la fois un honneur, un bonheur, une grâce et une leçon ». Il développa ces divers points, et expliqua ainsi le dernier: une leçon enfin, car nous avons appris de vous avec quel respect il faut traiter les choses de Dieu! Vous étiez à peine arrivé hier soir parmi nous, Monseigneur, que malgré les fatigues d'une excursion laborieuse, vous avez voulu, avant de prendre votre repos, revoir les prescriptions du cérémonial, et vous dites avec sainte Thérèse: Je donnerais jusqu'à la dernière goutte de mon sang pour sauvegarder la plus petite observance des rubriques établies par l'Église. Nous mettrons à profit de telles leçons, Monseigneur, et pour vous témoigner notre reconnaissance, nous nous efforcerons d'être de plus en plus les dignes serviteurs et les zélés défenseurs de Dieu et de la sainte Eglise! Nous travaillerons à acquérir, par les moyens qui sont clans nos mains, le seul but digne de la vie, le ciel, où tendent tous nos vœux! »
Dans sa réponse, Mgr Duquesnay fut homme éloquent et de grand cœur: « Mon Révérendissime Père Abbé, dit-il, pour un homme qui a fait vœu de garder un silence perpétuel, il faut avouer que vous savez, quand vous le voulez, faire un bel usage de la parole; mais après tant d'autres sacrifices, celui-ci n'a rien d'étonnant... » Puis il rappela le saint Père Dominique, et assura que son souvenir serait pour lui une protection et un enseignement: qu'il conserverait le portrait du vénérable Religieux dans son cabinet de travail. Enfin, Mgr l'Archevêque formula l'espoir que D. Sébastien remplacerait ces salles trop étroites par une abbaye qui serait l'orgueil des Flandres.
« A tant d'autres titres, remarque M. Leblanc dans son Histoire du collège de Tourcoing, réunis en la personne du nouvel Abbé, lui-même a voulu ajouter la protection spéciale du Sacré-Cœur! En voyant ce signe d'espérance briller sur les armes de D. Sébastien, en lisant la devise: Trahe nos, qui en donne la signification profonde, on peut tout attendre d'un homme qui ne s'est donné à Dieu que pour travailler plus efficacement au triomphe de l'Eglise et au relèvement social de la France, seuls objets dignes d'occuper un cœur catholique et français.»
Le Révérend Père Sébastien, aussitôt qu'il fut Abbé, s'appliqua à remplir les grands devoirs de sa charge. Il suivit de près tout ce qui concerne la direction des religieux, les excitants à la vie intérieure et d'oraison, encourageant les dévotions, poussant aux études, faisant donner aux jeunes religieux des cours sur diverses matières.
Aux postulants qui se présentaient, le nouvel Abbé s’efforça d'inculquer profondément la formation cistercienne. Grand et excellent cœur, esprit large, il aimait la lettre de la règle, mais ne la considérait que comme la gardienne de la ferveur, mettant la piété au-dessus de tout le reste; il cherchait à placer chacun de ses sujets dans la sphère d'action qui lui seyait le mieux; il ne croyait pas que les fondateurs de l'Ordre eussent voulu imposer le travail manuel exclusivement et à tous, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir un véritable amour pour ces occupations qui matent à la fois les désirs de la sensualité et les soulèvements de la vanité.
Sainte-Marie-du-Mont désirait conserver un Abbé aussi distingué, doué de qualités si rares, mais il avait une mission plus haute à remplir. Le mont des Cattes n'eut pas le bonheur de posséder longtemps le P. Sébastien. Nous le verrons sérieusement malade et confiné dans sa chambre durant de longs mois; puis, à moitié rétabli, appelé à un rôle plus important sur un théâtre plus étendu.
Se sont succédé, dans la charge de prieur titulaire de Sainte-Marie-du-Mont, les PP. M.- Joseph, Bernard, François-Marie, Désiré de Ren (1830-1835), puis le P. Augustin et enfin le P. Athanase, qui devint prieur claustral après l'élection du R. P. Dominique comme Abbé. Après le P. Itsweire, cette charge, la seconde du monastère, fut remplie par le P. Benoît Jodocy, natif de Rheinsfeld (grand-duché de Luxembourg) qui fut Père-Maitre des RR. PP. Sébastien et Jérôme; puis par le P. Edmond Bourke, irlandais, qui céda la fonction au P. Sébastien. Devenu premier supérieur, le P. Sébastien nomma prieur le P. Jérôme Parent, né à Wavrin (Nord), le 12 février 1845. Il a fait partie de l'armée du Nord dans la guerre franco-allemande et s'est trouvé dans les combats de Villers-Bretonneux, Pont-Noyelle, Bapaume et Saint-Quentin. Déjà postulant avant la guerre, il fit le vœu d'entrer à la Trappe du mont des Cattes s'il était épargné, et la Sainte Vierge l'exauça; aussi après sa libération, il vint frapper à la porte de l'abbaye cistercienne, et fit son entrée quelques semaines après le R. P. Wyart, en avril 1872. Hôtelier de Sainte-Marie-du-Mont, quand en 1877 le P. Sébastien partit pour Rome, le P. Jérôme fut nommé sous-prieur: il fut un moment Supérieur à Tilbourg; de retour au mont des Cattes, il devint bibliothécaire et maître des novices de chœur, puis, en 1883, prieur et infirmier.
Quand le R. P. Abbé alla à Rome pour la fondation des Catacombes de Saint-Calliste, la direction de Sainte-Marie lui resta tout entière et, dés lors, il en eut ordinairement seul toute la charge. Le P. Abbé était le plus souvent en Italie, ou malade, et c'est avec une absolue confiance qu'il se reposait sur son cher P. Prieur, D. Jérôme. Le 10 octobre 1887, le R. P. D. Jérôme, Abbé de Septfons, se désistait de ses fonctions de Vicaire général, et D. Sébastien Wyart était appelé à le remplacer. Le 28 du même mois, l'Abbé de Septfons donnait également sa démission de Supérieur, et le nouveau Vicaire général dut s'arracher à ses fils du mont des Cattes et se rendre dans l'Allier, pour diriger désormais cette vaste abbaye de Saint-Lieu-Septfons: elle souffrait encore des rudes coups que lui avait portés l'exécution des décrets. Le R. P. D. Sébastien y trouvait sept religieux de chœur et quelques convers; elle possède aujourd'hui un personnel de plus de cent personnes, dont vingt-huit prêtres. Jusqu'à nouvel ordre, le R. Père Wyart restait Administrateur de Sainte-Marie-du-Mont.
En la fête de l’Immaculée-Conception de 1881, huit novices de Sainte-Marie-du-Mont prononçaient leurs vœux. Il y avait des vides à remplir: depuis quelques années, plusieurs religieux, outre les colons de Tilbourg et de Saint-Calliste, avaient quitté le mont des Cattes: l'un était parti pour la maison de Chine, un autre au Port-du-Salut, trois à Jérusalem, deux à Tamié, deux à Septfons, au total une vingtaine; cela faisait un grand vide dans une communauté qui naguère encore comptait une vingtaine de choristes seulement. Cependant il était anormal que le monastère fût longtemps dirigé par un Abbé non résidant: tous désiraient voir cesser cette situation, y compris le R. P. Sébastien lui-même. En conséquence, le 15 juin 1889, vingt et un électeurs se réunirent au chapitre du mont des Cattes, sous la présidence du Vicaire général assisté du R. P. Abbé de Saint-Sixte, et choisirent pour Abbé D. Jérôme Parent.
Le nouvel Abbé nomma prieur le P. Albéric Staes. La bénédiction du R. P. D. Jérôme se fit le 6 août, jour de la Transfiguration de N.-S. Mgr de Lydda officiait, raconte l'Emancipateur de Cambrai, et là, comme partout, le vénéré Pontife captiva son assistance par la dignité, par l'aisance pleine de distinction et de majesté avec laquelle il accomplit les moindres fonctions de son auguste ministère. L'élu avait pour assistants D. Sébastien et D. Benoît, Abbé de Westmalle. Un troisième Abbé, D. Albéric de Saint-Sixte, occupait une stalle du chœur. L'église du monastère, transformée par d'ingénieuses décorations, n'était plus à reconnaître. Ses murailles disparaissaient sous les tentures: les fleurs abondaient ainsi que les écussons et les oriflammes. Les autels de saint Bernard et de saint Benoît étincelaient de lumières. La longue cérémonie s'accomplit dans un ordre parfait. C'était à comparer avec les admirables solennités de la métropole. Le nouvel Abbé, cela va sans dire, attirait tous les regards. Quand il apparut, revêtu de tous les insignes de sa dignité, une sorte de frémissement de joie gagna tous les cœurs. Religieux, parents, frères et amis reçurent avec une pieuse avidité ses premières bénédictions. La douce modestie avec laquelle il les répandait présage, nous en sommes certains, ce que sera le gouvernement du monastère: dans l’avenir comme dans le passé, tout ce qui peut se concevoir de plus paternel. Vous vous représentez l'attitude qu’avait le cher P. Sébastien. Quel mystère que cette figure! Sous une surface d’apaisement et de calme qui n'est pas une tenue de convention, mais le résultat d'un long triomphe sur soi-même et d'une habitude de vie intérieure toute en Dieu, que de préoccupations, que de soucis!... . Aujourd’hui deux sentiments profonds paraissent y ressortir: le déchirement et la consolation. Premièrement, le déchirement, car désormais c'est fini: les ad multos annos de son successeur précisent le sens des adieux qui lui restent à faire à cette maison bénie dans laquelle il croyait avoir concentré son affection et son dévouement. Secondement, la consolation cependant: car le père qu’il laisse est l’enfant de sa droite. Aussi pendant que les cloches du monastère, de leur voix les plus joyeuses, portaient au loin la nouvelle de l’intronisation de D. Jérôme… il suffisait d'observer la figure du P. Abbé de Septfons pour y lire la traduction fidèle de ces paroles de la liturgie du jour: hic est filius meus in quo mihi complacui, ipsum audite. Pourquoi des heures si douces s'écoulent-elles si rapidement.
Le P. Athanase avait commencé la construction de l'école sur le chemin de Godewaersvelde; le R. P. Dominique l'acheva: il avait une grande affection pour les enfants, il ne se passait guère une après-dînée qu'il n'allât les visiter en classe, les interroger, leur faire des récits à la fois édifiants et pleins d'intérêt, encourager enfin les pieuses institutrices. Après lui, le local fut jugé trop restreint pour le nombre des élèves qui allait sans cesse croissant: il fallut construire une nouvelle école. En même temps, les institutrices, après de longues années de dévouement, songeaient à prendre une retraite bien méritée.
Non loin des anciennes classes, une demoiselle d'Hazebrouck s'était fait bâtir une villa qui, à sa mort, en 1893, fut mise en vente. Le R. P. Jérôme acheta ce petit domaine, y ajouta un beau bâtiment, et put ainsi installer les écoles dans de meilleures conditions d'hygiène.
Il y appela les sœurs de l'Enfant-Jésus de Lille; depuis 1895, trois religieuses desservent cet établissement où garçons et fillettes sont préparés à la première communion et reçoivent, avec l'instruction primaire, une éducation chrétienne. Un moine est chargé de leur faire le catéchisme dans la chapelle Saint-Constance.
Un des graves soucis du P. Dominique était de procurer au monastère une chose essentielle à la santé qui avait manqué jusque-là: l'eau potable; et avant de passer à une vie meilleure, il fit à ce sujet ses recommandations au P. Sébastien, en qui il voyait bien son successeur. Depuis la fondation de la maison, la plus grande privation des religieux fut toujours le manque d'eau, pénible surtout en été. Le P. Nil et le P. Albéric avaient creusé de profondes citernes, mais elles étaient souvent à sec, ou bien ne contenaient que de l'eau malsaine d'un mauvais goût. Alors il fallait mettre les chevaux au chariot et remonter, dans des tonneaux, la belle eau des sources qui chantent au pied du mont.
Pour remédier à cet état de choses, le R. P. Sébastien, dès la première année de son gouvernement, fit à grands frais creuser un puits artésien dans la cour, entre le monastère, la fromagerie et les écuries, à la portée de tous.
Saint Benoît fut invoqué; Saint Joseph, protecteur spécialement choisi, eut sa statue au-dessus d'un élégant abri qui décorait le travail, vains efforts: le puits, creusé jusqu'à une profondeur de cent mètres, fut abandonné faute d'eau; le plus clair résultat de l'entreprise, ce fut beaucoup de peine et de frais, et la connaissance de la composition géologique du sol.
Quand les Religieux commencèrent à fabriquer la bière pour la vendre aux particuliers, la pénurie d'eau dont le monastère souffrait depuis un demi-siècle devint tout à fait intolérable: les besoins personnels des Moines restaient les mêmes, mais les exigences de l'industrie nouvelle étaient plus grandes. C'est alors que le R. P. Abbé, D. Jérôme, assembla, un jour de l'hiver 1888, son conseil afin de délibérer sur les moyens d'élever jusqu'au monastère l'eau des sources qui coulent au pied du mont; tous furent d'avis qu'il fallait appeler un ingénieur de Lille pour étudier la question, ce qui fut fait. En mai 1889, une machine à vapeur fut installée pour actionner une pompe foulante qui prend l'eau à une distance de 600 mètres du monastère, et la refoule à une hauteur de 80 mètres. Ce travail a réussi à souhait, et l'eau ne manque plus à Sainte-Marie, même dans les étés les plus secs. C'était, dans la voie du progrès matériel, un grand pas; les Religieux témoignèrent de leur reconnaissance envers Dieu en chantant un Te Deum.
Une autre question plus grave occupait l'esprit de D. Dominique: le projet de reconstruction de l'Abbaye. Pendant les cinq années de son gouvernement, D. Sébastien eut cette question à cœur, étudia cette importante entreprise, consulta des architectes; mais la fondation des Catacombes l'absorba, la fièvre paludéenne l'abattit, si bien que l'exécution du projet, remise à plus tard, incomba au R. P. Jérôme.
Le 25 avril 1891, M. Paul Destombes, architecte de Roubaix, et M. Emile Rouzé, entrepreneur à Lille, firent commencer la démolition du côté sud de la cour des ateliers, hangars, boulangerie, lessiverie, etc., pour y creuser une vaste cave destinée au magasin à fromages. Les côtés nord et ouest du futur monastère furent jalonnés suivant des plans très heureux.
Le style choisi par le P. Léon, cellérier, était le gothique; M. Destombes fit des projets XIII° et XIV° siècles.
Le 2 juillet 1891, le Très Révérend P. D. Sébastien, Vicaire général, en mitre et crosse ainsi que les assistants, les RR. PP. Jérôme du mont des Cattes et Ignace des Catacombes, posa la première pierre du côté nord du nouveau monastère, en présence de MM. l'architecte et l'entrepreneur, de quelques amis et de la Communauté: tous signèrent le procès-verbal qui fut scellé dans la pierre. Depuis cette date, les murailles surgirent comme par enchantement, les cloîtres se dessinèrent, les fenêtres s'élancèrent gracieuses entre les puissants contreforts du bâtiment. En même temps, d'énormes travaux de terrassement changeaient l'aspect des cours et du jardin sur lequel allait s'asseoir toute la nouvelle construction, et c'était plaisir de voir avec quel joyeux entrain les Religieux aidaient à la besogne. Le 24 décembre, le nouveau Chapitre fut inauguré par le sermon de Noël. Au bout de deux années le monastère proprement dit était rebâti et même occupé.
On se servait toujours de l'ancienne église et le P. Jérôme aurait voulu ajourner la construction de la nouvelle, afin de pouvoir payer les nouveaux bâtiments. Sur ces entrefaites D. Sébastien vint à Sainte-Marie-du-Mont, et manifesta son désir de voir s'élever la Maison de Dieu: il conseilla au P. Abbé de payer le monastère avec les ressources existantes et de faire une souscription pour l'Église. Pendant cinq ans, le R. P. Jérôme, s'armant de courage, parcourut en mendiant nos principales villes, et se livra avec tant d'ardeur au dur labeur de la quête, qu'il revint un jour atteint d'une congestion pulmonaire qui le mit à deux doigts de la mort. Grâce à ces efforts si méritoires, la reconstruction de l'Église devenait possible.
Le 2 mai 1893, eut lieu la pose de la première Pierre. Elle fut bénite par D. Jérôme, assisté des Abbés de Sainte-Sixte et de Konings'hoven.
L'Aumônier des Dames Bernardines d'Esquermes, un groupe de bienfaiteurs, d'amis et de voisins prirent part à cette solennité.
Le 25 mai 1894, l'Archevêque de Cambrai visitait les nouveaux cloîtres, et ne ménageait pas ses approbations, ni son admiration. A la fin de l'année, tout était terminé, et le 7 décembre, premier vendredi du mois et veille de l'Immaculée Conception, eut lieu la bénédiction du nouveau sanctuaire. Le R. P. D. Jérôme présidait la cérémonie, assisté de D. Willibrord de Konings'hoven. Après la Messe pontificale, les moines, un flambeau à la main, allèrent chercher le Saint-Sacrement au Tabernacle de l'ancienne église et, traversant processionnellement les cloîtres au chant du Te Deum, installèrent le Divin Hôte dans son séjour nouveau.
L'église de Sainte-Marie-du-Mont domine de toute la hauteur de son toit les constructions qui l'entourent. On l'aperçoit de loin et, par un temps clair, elle se distingue très bien, de la station d'Hazebrouck. Le portail, précédé d'un superbe perron en Pierre bleue, est extrêmement gracieux. Entre deux tourelles d'une rare élégance et hautes de 30 mètres, se dessine un triple galbe aigu surmonté de fleurons. Une belle porte à deux battants s'ouvre dans le milieu: dans le tympan sont sculptées les armes, parties de Sainte-Marie-du-Mont et de l'Abbé actuel. Des anges supportent l'écusson, auquel sont jointes une crosse, une croix et une mitre. Au-dessus, s'ouvre une immense et splendide rose de 6 mètres de diamètre. Plus haut se voient les armes de Cîteaux, avec deux crosses posées en sautoir derrière l'écu que surmonte la mitre, et au-dessus on lit, en grandes lettres onciales: Cistercium, mater nostra.
La pointe du pignon supporte, sur une colonnette encorbellée, une grande Vierge couronnée, dans l'attitude de la prière.
La longueur de l'Église, y compris le porche,et le perron, est de 60 mètres. A l'intérieur, le vaisseau comporte une nef de 50 mètres de long sur 12 de large et 17 d'élévation sous voûtes. Ces voûtes sont divisées, à la croisée des arcs ogives, par un arc doubleau, simple intermédiaire, qui retombe sur une pile de colonnes moins robuste que celle des autres doubleaux, de sorte que chaque travée des voûtes en embrasse deux de la nef. Celles-ci, sont ornées de magnifiques fenêtres comprenant deux arcs extradossés, étroits, séparés par une pile centrale et surmontés par un oculus indépendant recevant en feuillus des redans à 6 lobes. Il y a sept fenêtres sur chaque côté, deux travées sont aveugles; une voûte en berceau couvre la tribune faite au-dessus du cloître, lequel forme porche, et un berceau règne aussi au-dessus du presbytère. L'abside est à six pans ; dans le bas, s'ouvrent des arcades supportées par des colonnes de grès, un deambulatorium donne accès à sept chapelles rayonnantes ; un peu au-dessus de la pointe des arcs du presbytère, s'élèvent des fenêtres divisées par un meneau et portant sur deux arcs brisés un trilobe.
Le mobilier n'est pas indigne de l'architecture, et si celle-ci fait honneur à M. Destombes, les belles sculptures en chêne sont tout à la gloire de M. G. Pattein, d'Hazebrouck. Cet artiste a le secret de produire des silhouettes originales : celles de l'autel majeur avec ses reliefs et ses arcs-boutants ornés et celles du jubé, accosté de ses deux autels en sont la preuve.
Les Trappistes du mont des Cattes brassaient autrefois de la bière pour leur consommation seulement. Dans ce temps-là, déjà lointain, les visiteurs appréciaient beaucoup la bière brune, forte et nourrissante des Pères. Peu à peu, par le besoin de créer des ressources, la fabrication et la vente de la bière prirent une importance plus grande; aussi chercha-t-on des perfectionnements, et modifia-t-on le système de brassage et de fermentation. En 1896, la petite brasserie qui tombait en ruines fut rebâtie, et l'on y installa tout un nouveau montage. Cette reconstruction a permis d'achever avant l'hiver le mur de clôture, qui était remplacé fort insuffisamment par des palissades. Le commerce de la bière des PP. Trappistes s'étend au loin, dans les grandes villes du Nord, à Paris et dans toute la France: leur produit, sous le nom de bière fine, a une réputation bien méritée: sa couleur blonde, sa légèreté, la finesse des houblons employés en font une digne rivale du pale ale tant renommé.
Les Trappistes se livrent aussi à l'industrie fromagère: depuis longtemps, ils fabriquent un fromage similaire à celui qu'on nomme Port-du-Salut, et leur produit, bien connu dans le commerce, recherché des gourmets, se passe de tout éloge.
L'industrie est une véritable nécessité pour les moines contemplatifs: dépouillés, depuis cent ans, des revenus que la charité leur avait assurés, force leur est bien de gagner la vie; le chocolat des Catacombes a de brillants succès; les fromages de Belval rivalisent avec ceux du mont des Cattes; tous s'ingénient à trouver les moyens de vivre autrement que d'aumônes.
![]() Sainte-Marie-du-Mont: le monastère et l’usine |
||
L'ABBAYE DE SAINTE-MARIE-DU-MONT Quand après avoir passé Hazebrouck, on débarque à Godewaersvelde, dernière station avant la frontière belge, l'œil est tout de suite frappé d'un notable mouvement de terrain rompant la monotonie de ce pays plat du Nord. Une éminence se dresse, qui ailleurs ne serait qu'une butte, mais qui devient ici une montagne, par le contraste avec les plaines environnantes: c'est le Mont-des-Cattes, en flamand Katsberg. |
![]() Le frère mécanicien |
|
Mais le Katsberg a encore un autre titre à la notoriété, et c'est même à ce titre-là qu'il doit la meilleure part de son prestige: il possède une importante abbaye en pleine activité. Dire que je l'ai « découverte », loin d'être une sotte vanterie, est au contraire l'humble aveu d'ignorance d'un voyageur parisien. |
||
![]() Pose d’un Decauville pour les travaux de terrassement. |
De ce plateau on embrasse un immense panorama: les collines de l'Artois, les monts Noir, Rouge et Kemmel, Ypres, Cassel, Aire, Hazebrouck, Béthune, Bailleul, puis, au pied du Katsberg, les trois villages de Berthen, de Méteren et de Godewaersvelde (vrai champ de Dieu). Si attrayant que fut le paysage, s'étendant de la Flandre française jusqu'en Belgique, les bâtiments prochains sollicitaient bien plus vivement mon attention. Imaginez une agglomération de constructions offrant dans l'ensemble l'uniformité monochrome et un peu maussade de la brique, mais différant singulièrement entre elles de caractère et de destination, des ateliers industriels accotés à des édifices religieux, le rapprochement déconcertant d'une cheminée d'usine et de flèches de cathédrale, celles-ci déchirant de la pointe de leur aiguille le noir panache de fumée de celle-là. Or, cette agglomération constitue un établissement unique occupé par une communauté de trappistes, et ce rapprochement d'éléments si disparates révèle une étroite alliance du spirituel et du temporel, de l'esprit contemplatif et de l'esprit pratique. |
|
La fondation du monastère du Mont-des-Cattes date de 1826, époque où le peintre Nicolas-Joseph Ruyssen, d'Hazebrouck, en fit les premiers frais et y installa des moines de l'ordre de Cîteaux réformé. Simple prieuré jusqu'en 1817, il fut alors érigé en abbaye, sous le nom de Sainte-Marie-du-Mont. Après bien des difficultés et bien des vicissitudes, dont l'exécution des fameux décrets d'expulsion ne fut pas la Moindre, il doit sa présente prospérité aux efforts persévérants des trois hommes d'initiative qui l'ont successivement dirigé: dom Dominique Lacaes, dom Sébastien Wyart, ancien capitaine aux zouaves pontificaux, décoré pour sa brillante conduite à Patay, et l'abbé actuel, dom Jérôme Parent, qui, lui aussi, porta les armes en 1870, dans les rangs de l'armée du Nord. |
||
Ce qu'ils ont fait de la maison, avec le concours de leurs dévoués collaborateurs et grâce à la générosité des fidèles, j'ai pu m'en rendre compte dans une visite favorisée par l'affabilité accueillante des religieux. Je me bornerai à l'énumération rapide des résultats accomplis aujourd'hui: reconstruction complète des bâtiments conventuels, comprenant cloitre, salle capitulaire, réfectoire, dortoir etc.; édification d'une superbe église abbatiale, commencée en 1893, le tout spacieux, à la fois élégant et sévère, et conçu par l'architecte, M. Destombes, dans le style gothique des treizième et quatorzième siècles, avec stalles de chœur et autres boiseries sculptées d'un dessin et d'une exécution remarquables, œuvre de M. G. Pattein, d’Hazebrouck; installation d'une école mixte, desservie par des religieuses de l'ordre des trappistines de Laval; enfin — et ceci est la plus grande Originalité de l'établissement — organisation complète d'une annexe industrielle. |
![]() Les travaux de propreté dans l’église. |
|
Tout en observant rigoureusement la règle de leur ordre, les trappistes du Mont-des-Cattes estiment que la maison de Dieu peut et doit être aussi la maison du travail et qu'il est fort légitime de tirer de leur labeur les ressources nécessaires à l'accomplissement de leur pieuse mission. Actuellement composée de 70 personnes: 22 moines, 9 novices de chœur, 33 frères et novices convers, 4 oblats convers, cette famille ecclésiastique ne suffit pas à toutes les besognes de l'entreprise; elle s'est adjoint 50 ouvriers laïques pour la fabrication des fromages, façon Port-salut. |
||
![]() Le retour du travail. |
Les travaux les plus variés offrent d'ailleurs un aliment quotidien au personnel régulier; il y a un frère brasseur et même un frère mécanicien, car l'adduction au sommet du Mont d'une grande quantité d'eau potable pour la brasserie a nécessité l'emploi d'une machine à vapeur de 40 chevaux. Aussi bien, ces moines immuablement attachés aux idées et aux mœurs monastiques des temps primitifs, savent être du siècle quand il convient; ils se montrent si peu réfractaires aux progrès de la science moderne, qu'ils viennent d'utiliser la force motrice en installant la lumière électrique partout, jusque dans leur église. Comme nous voilà loin du moutier du moyen âge! Fabricants et négociants, ils livrent au commerce des quantités considérables de bière et de fromages d'une marque estimée, de mérite que leurs frères de Saint Aiguilin (Charente-Inférieur), encouragés par l'exemple des Chartreux, mettent en vente le pur cognac de leur distillerie. Ils se sont faits industriels parce que la culture ne donne plus qu'un rendement précaire et dérisoire. |
|
;Mais, fidèles à leur vœu de pauvreté; ils ne s'enrichissent pas — individuellement du moins — à ce nouveau métier. La caisse se vide aussi vite qu'elle se remplit, une part des bénéfices étant affectée à l'amortissement des emprunts contractés pour les constructions, l'autre alimentant des œuvres charitables, et l'opulence de la communauté ne se révèle que dans les splendeurs du temple où se réunissent pour les offices et la prière les moines en robe de bure. EDMOND FRANK. |
||
![]() Illustration 02-07-1898 |